La série de la semaine : "Mad Men' (TPS, dimanche soir, depuis le 16 mars 2008)
Blog de martinwinckler :La sériephilie, c'est grave, Docteur ?, La série de la semaine : 'Mad Men' (TPS, dimanche soir, depuis le 16 mars 2008)
C'est une des meilleures séries de la saison 2007, un OVNI dans la production actuelle. Créée par Matthew Weiner, l'un des scénaristes de The Sopranos, Mad Men est une oeuvre impressionnante, visuellement, scénariquement et d'un point de vue historique et symbolique.
Le tableau est tracé dès le générique, superbe et troublant : la silhouette stylisée d’un homme à attaché-case tombe du sommet d’un gratte-ciel en effleurant au passage des publicités pour les bas ou les cigarettes. Cette chute sans fin, à la fois symbolique et fantasmatique, semble illustrer l’histoire de l’homme qui se jette du haut de l’Empire State Building et qui, à chaque personne qui le voit passer devant sa fenêtre, lance ironiquement « So far, so good » (« Jusque là, ça va… »)
En 1960, à l'orée de la campagne présidentielle Nixon-Kennedy, dans une des innombrables agences de publicité installées sur Madison Avenue, à New York. Dans l’Amérique de l’après-guerre et du boom économique, un groupe de personnages tente de vivre leur vie sous la double contrainte des conventions sociales et des faux-semblants.
Si l'image est pétante de couleurs, on est ici dans un monde en noir et blanc, en positif-négatif, d’un monde double dans lequel la réalité des individus est verrouillée sous les conventions comme les seins des femmes sous leurs soutien-gorges rigides.
De l’aveu même de son créateur, Matthew Weiner, l’un des sujets centraux de Mad Men, c’est la guerre (froide) entre les sexes. Une exploration incisive, sans complaisance, aussi précise que chez Balzac ; aussi cinglante que chez Flaubert.
Donald Draper (Jon Hamm), brillant executive, joue sur deux tableaux : d’un côté une charmante épouse blonde, Betty (January Jones), des enfants et une belle maison dans les suburbs ; de l’autre une maîtresse bohème brune à Manhattan. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Roger Sterling (John Slattery), l’un des senior partners de la firme vit une passion torride – à l’hôtel – avec l’une de ses assistantes de direction, Joan (Christina Hendricks). Quant au plus jeune cadre, Pete (Vincent Kartheiser), la veille de son mariage à une riche héritière il passe la nuit avec la secrétaire novice, Peggy (Elizabeth Moss).
Tandis que les hommes mènent une double vie, les femmes s’efforcent - parfois sans grand succès - d’exister par elles-mêmes. Betty Draper étouffe au point d’aller consulter un psychanalyste… qui rend des comptes à son mari. Joan profite de sa situation de femme entretenue et ne tient pas du tout à voir Roger divorcer. Quant à Peggy, elle prend la pilule et se montre aussi créative que les publicitaires de la firme en trouvant un slogan pour un nouveau rouge à lèvres.
Le sujet de la guerre des sexes à la veille de l’éclosion du féminisme pourrait à lui seul suffire à capter l’attention du spectateur, mais il est loin de résumer la richesse narrative de Mad Men. Car les treize épisodes de la première saison, diffusée l’été dernier par la chaîne AMC et depuis le 16 mars sur TPS Star, tissent une foule d’histoires qui nous parle de l’Amérique des années 60 : depuis l’invention de la publicité conceptuelle jusqu’à la campagne très médiatique de John Kennedy, en passant par la volonté du jeune état d’Israël d’attirer les riches touristes américains et par les efforts considérables des cigarettiers pour masquer les méfaits du tabac derrière le rideau de fumée de la cool attitude.
Au milieu de cet univers policé, Don Draper est un personnage énigmatique, dont on apprend très vite qu’il a changé d’identité. Plusieurs flash-backs saisissants de beauté nous font remonter le temps dans son histoire personnelle, quand il était enfant au fin fond de l’Amérique profonde pendant la crise de 1929, ou lorsqu’il servit comme GI dans le Pacifique. Ces retours en arrière soigneusement choisis démontrent que le vernis du monde « moderne » recouvre des pages d’histoire qui n’ont pas été véritablement tournées.
Plastiquement superbe, scénariquement passionnante, impeccablement filmée et interprétée c’est indubitablement, avec Damages (Canal +), LA série à suivre à la télévision française en ce moment.
Martin Winckler
Au sujet de Mad Men et d’American Dreams, autre série située dans les années 60, lire l’article de Marjolaine Boutet dans L’Année des séries 2008 (Hors Collection).